Elle s'appelle Micha. Elle avait près de 80 ans. Elle habitait le village Ait Said ou Tala Mayache dans la commune de Mizrana à cinq kilomètres de Tigzirt et à près de trente autres au nord de la ville de Tizi Ouzou. Elle a vécu pendant 49 ans dans le terrible statut de veuve. Son mari est mort en mai 1965. 

Elle tire sa révérence le même mois. Son vrai nom est madame veuve Bourahma. Son mari est Moh Said Bourahma connu au village sous le nom de Moh Said Moh N'Amar. Il était un combattant dans deux guerres par amour pour l'Algérie. Il a été tué, plutôt tombé en martyr le 25 mai 1965. Ironie du sort : douze jours seulement séparent l'anniversaire de sa mort de celle de son épouse.



 Ici Photo prise à Ait Said au Cessez le feu 1962 lors d'une cérémonie d'enterrement de reste de chahid (voir les cercueils). Dans cette photo l'on peut reconnaitre le chahid Moh Said Bourahma dit Moh Said Mon N amar debout entre les deux cercueils à gauche portant veste militaire, béret. 


Ce dernier avait rejoint les rangs de l'ALN en 1957. Après deux ans de combat il fut capturé en 1959 et emprisonné. Il ne sera libéré qu'à l’indépendance. En août 1962, une contre révolution eut lieu. Un coup d’État a été perpétré contre le GPRA. Ceux qui ont libéré le pays se sont trouvés confisqués de leur indépendance avec la bénédiction de la France et de l’Égypte qui avaient soutenu activement l'armée des frontières qui a envahi Alger à coup de canon et avec un bilan lourd de 1500 morts. Krim Belkacem, le signataire de l’indépendance de l'Algérie, Ait Ahmed, Boudiaf et tous les vrais combattants ont été acculés soit vers l'exile soit vers l'obligation de riposter afin de résister à ce malheur. Ait Ahmed avait préféré la lutte armée. En 1963 il prit le maquis et fondait le Front des Forces Socialiste (FFS). L'armée de Benbella, de Boussouf et de Boumèdiene avait réservé une répression féroce contre les résistants au renversement révolutionnaire.

 
 Les combattants du village au Cessez le feu en 1962. A gauche (reste à vérifier) Mohamed Hamoudi dit Moh Oumar Hmouda tombé au champ d'honneur au meme moment que Moh Said Bourehma dit Moh Said Moh N amar le 25 mai 1965



Au village Ait Said, comme c'est le cas ailleurs en Kabylie et les wilayas du centre du pays, plusieurs anciens combattants de la guerre et d'autres nouvellement enrôlés avaient prit le maquis. le bilan était très lourd : plus de 400 morts. Et comme ultime ironie du sort ou ultime mépris, les "députés" de l'APN avaient rejeté il y a à peine deux mois le dossier portant reconnaissance du titre de martyrs aux victimes du FFS. Le village Ait Said compte cinq martyrs dans cette guerre contre l'armée des frontières ou le clan d’Oudjda. Arezki Tounsi connu sous le surnom de Bazoka,fut tué à Alger dès le début de cette tragédie . Hend Agueni connu sous le nom de Hend Moh Ouamar fut également tué lors d'un accrochage près du village Tala Tughrest à près de 10 km à l'ouest du village.


 

Le village Ait Said durant la guerre vers 1958


Moh Said Moh n'Amar était parmi le groupe des durs qui avaient refusé les dépôts des armes. Il a été tué le 25 mai 1965 au lieu dit Tala Aqil dans le mont face au village. Avec lui l'on compte quatre autres martyrs, dont deux autres du village : Moh Ouamar Hamouda et Arezki Abdelmoumen plus connu sous le nom de Degaul. Pendant que les veuves des martyrs pleuraient leurs maris, les partisans de Ben Bella faisaient la fête. Na Micha a été contrainte de continuer seule le dur chemin de la vie avec plusieurs enfants à élever. D'une misère à une autre, d'un malheur à un autre, le chemin de cette pauvre femme courageuse est semé de misère, de déception, de trahison, de mépris, d'incompréhension et d'anéantissement.




Ait Ahmed en 1963


Les famille des victimes du FFS ont été humiliées, anéanties, surveillées de près tel le lait sur le feu. On a tout fait tout pour leur inculquer le sentiment de culpabilité et leur accorder ainsi le statut de traîtres, "d'ennemis de la nation". Comme on dit en kabyle : " la capuche est mise à l'envers". Triste pour celui qui ne connaît pas les tenants et les aboutissants de cette triste Algérie. On a su avec des moyens diaboliques comment transformer tout ce qui est blanc en noir et tout ce qui est noir en blanc. Les héros sont esseulés, accusés de tous les maux et les « confisqueurs » (si j’ose dire) sont gratifiés.




 Ait Ahmed en 1963


Cette histoire est liée à l'une des pages les plus noires de cette Algérie. Il est difficile dans ces cas de conserver son patriotisme et de croire en cette Algérie. Oui cette Algérie qui ressemble à une ogresse dévorant sans pitié ses propres enfants. Et pourtant des sacrifices incalculables ont été consentis pour l'arracher des mains du colonialisme. Cinquante ans après, la question reste d'actualité et l'Algérie de Moh Said Moh N’Amar, Ait Ahmed, Krim Belkacem, Boudiaf, Ben Mhidi Abane est toujours perdue dans un océan d'imposture dans un radeau de fortune, sans rame, soumis à la volonté des quatre vents. Il est difficile pour les cœurs d'être paisibles, pour les martyrs de se reposer dans leur tombes, lorsqu'on l'on connaît la trajectoire si négative et les dérapages connus par cette même Algérie pourtant indépendante.

 
 Benbella un homme aux ordres du Caire utilisée par Boumediene (du vrai nom Mohamed Boukharouba) pour le renverser à son tour le 19 juin 1965. Selon Said Sadi dans son livre sur Amirouche Boumediène n'a jamais tiré une cartouche en Algérie durant la guerre


 Il est difficile de croire à ce pouvoir dont le Président passe des mois dans un hôpital militaire français à se soigner et célébrer le 05 juillet (fête de l’indépendance en Algérie) et le 14 juillet (fête de la victoire en France). Que reste t-il à maquiller pour cette Algérie rendue impure en reniant ses propres enfants. "Malheur sur malheur, chaque malédiction en fait appel à une autre" disait Matoub Lounes. Malgrè tous les malheurs, les enfants de Na Micha ont gardé leur attachement à l'Algérie et étaient animé par la fibre patriotique. Ils étaient présents lorsque cette pauvre Algérie avait besoin de ses vrais enfants. L'un d'eux Arezki a disparu dans des conditions tragiques en 2001. Cet événement est un autre coup de poignard inconsolable porté contre cette pauvre veuve.



L'armée des frontières bien planquée en attendant l’indépendance 


 . Aujourd’hui mardi 13 mai Na Micha sera accompagnée dans la dignité par les proches, les gens du village et des villages limitrophes vers sa dernière demeure à Alghazi. Un lieu paisible avec une vue imprenable sur la mer. Aujourd'hui c'est la fin d'une vie, celle d'une combattante d’une résistante face aux coups de la vie. Une héroïne qui mérite un baroud d'honneur, un enterrement avec tous les honneurs. L'emblème c'est elle qui le mérite. Elle va désormais se reposer pour l’éternité telle une martyre. Un repos bien mérité après tant d'endurance, de lutte, de résistance et de persévérance. Quant à cette pauvre Algérie Dieu va s'en occuper. Dieu tend parfois la corde mais il ne la lâche jamais.


 


C'est lui qui va lui octroyer une pension que le ministère des Moudjahidine lui avait refusée. C'est elle la combattante auprès de son mari et non cette armée sortie de nulle part pour confisquer toute une révolution. C'est Dieu qui réconciliera l'Algérie avec elle-même, il va panser les blessures, essuyer les déceptions, recouvrir ce « fleuve détourné » et mettre à nu à jamais ceux qui ont fait tant de mal à ce beau pays.

Gloire à nos Martyrs.

Mourad HAMMAMI

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