Après avoir livré la bataille contre la mort pendant près de trois semaines, Said Ouchen ou Said Buchen, ou encore aami Said a rendu l’âme ce matin le 19 janvier à l’hôpital de Tigzirt à l’age de 77 ans.
Il était un patriote authentique, anonyme de cette Algérie profonde, qui résiste face aux événements depuis la nuit du temps. Da Said aimait l’Algérie sans demander contre partie. Il l’aimait d’un amour naturel, vrai, authentique sur fond de modestie et du rythme d’une vie d’un pauvre parmi ses semblables perchés dans un village kabyle.
Je lui ai rendu visite deux fois à l’hôpital de Tigzirt avant mon voyage en France. C’était comme si je rendais visite à un père malade. A son chevet il y beaucoup de monde, mais j’ai eu le privilège de l’approcher et de parler avec lui pendant plusieurs minutes. Fidèle à lui-même, il plaisantait sans cesse. Il dédramatisait la situation et il affichait toujours son courage d’un enfant de montagne aguerri par la vie : « Tu sais, comme je disais aux gens, là hospitalisé c mieux pour moi, je fais des économies, car si je suis en ville je me déplace partout et je dépense beaucoup…..(rire). Je n’ai jamais peur de la mort. Ah si elle vient dans de telles conditions ça sera formidable, je vais l’accueillir à bras ouverts. Ce qui me fait peur c’est la souffrance avant de mourir… ». C’était les dernières paroles-souvenir de Da Said.
Moins de deux mois avant, je me suis déplacé avec toute une équipe à son domicile sis au village Ait Said ou Mayache dans la commune de Mizrana. Nous lui avons réalisé un témoignage de plus d’une heure dans le cadre de notre programme Témoins de Guerre ouInigan n Trad. Son DVD porte la référence T172. Le jour où nous lui avons livré une copie de ce travail, les tableaux d’honneur de l’association le Flambeau et de Mizrana Production, il était si heureux. Cette reconnaissance était un grand bonheur pour lui, un soulagement, une délivrance du magma de l’oublie de cette Algérie ingrate qui renie les sacrifices de ses enfants. Il m’appelait parfois 3 ou 4 fois par jour pour faire une remarque sur une parole, pour nous remercier, pour exprimer sa satisfaction.
Il est né le 04 novembre 1936. En 1954 après le déclenchement de la révolution nationale algérienne, à l’instar des autres jeunes de son village, Da Said n’était pas indifférents face à cet événement majeur qui vient de faire plonger tout un peuple dans un terrible combat libérateur. En 1955, il faisait partie du groupe de jeune du village au nombre de quatres groupe de onze chacun, qui se sont portés volontaires dans le cadre de l’organisation civile ou OC. FLN. Quelques mois plus tard, l’armée française découvre la liste de ce groupe clandestin. L’armée de libération nationale ALN ne pouvait recruter tous ces jeunes recherchés, Da Said a été contraint de prendre le chemin de l’exile et se refugier en France. Il s’installa au 19e arrondissement à Paris et devient un chef de groupe de l’organisation secrète du FLN dans le cadre de la fédération de France. En France c’est une autre double guerre qui fait rage. La guerre contre les français, mais aussi la terrible guerre entre le MNA et le FLN.
En 1962, c’est l’indépendance et le retour au pays. L’Algérie est exsangue, l’écrasante majorités des héros dont son cousin et ami d’enfance ont été tués dans le tumulte de la guerre.
En 1963, c’est le déclanchement de la guerre du FFS face à l’armée de Ben Bella et de Boumediène qui viennent de confisquer l’indépendance de tout un peuple. Il avait assisté à une autre vague de mort des héros de son village dans cette guerre de trop.
Quelques temps plus tard, il reprend le chemin de l’exile vers la France, pour subvenir aux besoins de sa famille. Au début des années 1980, une crise économique secouait la France et l’Algérie traversait une belle période trompeuse sur le plan économique.
En 1984, une voiture en guise de trophée de ces années d’exile et de long labeur, il décide de rentrer définitivement en Algérie. Là dans ce pays instable, à l’instar de la plupart ayant déménagés, le piège s’est renfermé contre eux. C’est la plongée pour de longues années de galère face à un pays mal gouverné qui sombre de plus en plus dans de multiples crises.
Après les événements d’octobre 1988, l’Algérie connait des mutations importantes en passant d’un pays dictatorial, du parti unique et de l’économie dirigée vers un pays de multipartisme et de l’économie de marché.
Ce sont des portes ouvertes vers l’inconnu. La démocratie, la liberté, le développement tant attendu se transforme en cauchemar. Après les élections de décembre 1991, l’Algérie plonge dans une spirale de violences enclenchée par les islamistes.
La guerre est déclarée contre le peuple. La Kabylie qui était pourtant loin et rejetait cette idéologie s’est vu envahir par la violence terroristes islamiste.
Le village Mayache ou Ait Said était le troisième village en Kabylie à s’insurger contre les terroristes après Igoudjdal ( Azeffoun) et Attouche (Makouda).
Tout le village s’est mobilisé tel un seul homme pour faire face à cette furie de violence qui s’est attaqué à de paisibles montagnards.
La réaction était immédiate. C’est la constitution de groupes de résistance et de groupes armés de patriotes contre le terrorisme.
Da Said était parmi les premiers à prendre les armes. Il était l’un des portes drapeaux de cette mobilisation. L’un des plus âgés, des plus courageux. Il inspirait sagesse, courage et patriotisme pour les groupes de jeunes armés autour de lui pour défendre l’honneur du village et de la région.
Il était présent lors du violent accrochage entre les hommes armés du village et un groupe de terroristes le 11 mars 1995 au niveau du siège de la mairie de Mizrana. Ce jour là, un jeune du village Mohamed Tounsi a été tué et deux autres terroristes ont été éliminés.
Le village Ait Said constituait une véritable armée de lutte antiterroriste composée de plusieurs centaines d’hommes armés. Il ne se contentait pas de sécuriser le village, mais ils étaient présent partout, pour la lutte et aider les autres villages à se mobiliser et s’organiser.
Les élections sont un enjeu important pour asseoir la démocratie, la politique et s’éloigner de cette guerre qui ne dit pas son nom. A chaque rendez vous électoral, les hommes du village se mobilisent pour sécuriser les élections face à l’Etat qui brille par son absence et débordée par cette violence.
Lors des élections législative de 1997, Said Ouchen portait une belle tenue parachutiste, une paire de jumelles et un fusil mitrailleur allemand. Il était parmi un groupe des hommes du village dont la mission est de sécuriser un bureau de vote au village Tikiouache. Un village situé au cœur de la jungle de Mizrana, que les groupes terroristes ont transformé en bastion et en base arrière.
En dépit de la vigilance, au passage de ce groupe, les terroristes, ont actionné une bombe à distance. Elle touche de plein fouet Said Buchen. Le souffle avait soulevé son corps frêle, et sa jambe a été soufflée par la déflagration. Il perd connaissance pendant un moment et il se réveille. Craignant d’être capturé par les terroristes, en dépit de la grave blessure, il se met immédiatement à riposter avec énergie envers l’endroit d’où il a été attaqué. Les autres éléments arrivent en renfort et versent un déluge de feu contre les terroristes. Quelques instants plus tard il perd de nouveau connaissance. Il est évacué d’urgence dans des conditions si périlleuse vers Tigzirt pour ne se réveiller que plusieurs heures plus tard dans un lit de l’hôpital.
L’Etat tant défendu ne pouvait même pas faire face à ses soins. Ce sont ses amis et les gens du village qui ont contribué pour faire face aux frais de sa prise en charge médicale.
Après plusieurs jours de lutte contre la mort, Said Ouchen quitte l’hôpital avec une jambe en moins dédiée pour la sauvegarde de la république en Algérie. Il retourne vivre parmi les siens dans la modestie et la pauvreté.
En rendant l’âme ce matin, il porte toujours dans son corps des fragments de bombe. Des blessures dédiées à l’Algérie éternelle qu’il aimait malgré tout. « L’Algérie est notre patrie. Etre d’accord ou pas avec les gens qui nous gouvernent ne change à rien, donc il est de notre intérêt et de notre devoir de l’assumer jusqu’au bout » disait Said Ouchen.
Il est midi, au moment où je termine cet article, les gens du village Ait Said s’apprêtent à accompagner dans la douleur et la dignité la défunt vers sa dernière demeure. Oui il était un héros, un patriote discret, sincère de cette Algérie profonde et anonyme.
Allah Yarham.
Source: www.relais-medias.com
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